Adam Nankervis
Etoiles noires sur un ciel blanc
Adam Nankervis et Museum MAN
Monsieur Propre, le Géant Vert, Bibendum, la banane Chiquita, Mr. Peanuts … Les fabricants ont toujours eu tendance à personnifier leurs produits de façon comique avec des icônes d’homme ou d’animal, des petites statuettes ou des images dessinées, spécialement aux Etats-Unis. Adam Nankervis a une tendresse particulière pour ce genre de personnage (et d’autres qui n’ont ni nom ni marque). Il les ramasse dans les braderies et les brocantes. Mais ils ne sont qu’un élément de du projet artistique « live-in », soit itinérant et en constante mutation qu’il appelle Museum MAN.
Tout a commencé avec la découverte d’un appartement abandonné dans l’ancien Berlin-Est, vacant mais néanmoins comblé de l’attirail de son propriétaire décédé. Nankervis fut subjugué par les preuves banales, mais intenses, d’une autre vie, tel un fil personnel qui toucherait à l’histoire d’une période révolue. « Instantanés de famille et d’amis, souvenirs et lettres, effets personnels usés et déchirés, albums d’une importance historique et esthétique mélangés avec des boîtes de récompenses de la DDR, des médailles, des couteaux, des radios, des casques datant de la première guerre mondiale, un uniforme, une machine à écrire STASI … « L’appartement était une sorte de musée involontaire constitué au moment où il fut abandonné par son habitant humain. Après lui avoir rendu un dernier hommage, Nankervis se demanda si un mémorial aussi varié que minutieux du défunt pourrait être transformé en un musée conçu comme « un modèle capable d’intégrer du neuf ».
Les musées sont en général des havres de silence, des lieux où la poussière s’accumule (du moins ils le furent jusqu’à ce qu’ils deviennent la principale composante de l’industrie des loisirs, tels qu’ils sont aujourd’hui). Mais Museum Man est un phénomène de mouvement, et ceci de plusieurs façons :
- Les matériaux en sont constamment recueillis et sans cesse remaniés par rapport à l’espace, et les uns aux autres, afin de mettre en évidence des aspects inattendus.
- Le musée lui-même bouge tandis que Nankervis voyage à travers le monde, et il peut être totalement ou partiellement reconstitué dans un nouveau contexte géographique et culturel.
- Le musée accueille les oeuvres d’autres artistes qui s’opposent ou, au contraire, dialoguent avec celles qui sont déjà en place.
Comme l’artiste le dit : « Ces objets rassemblés peuvent être considérés comme des entités autonomes et ajustés pour une redite par leur interdépendance lorsqu’ils sont en harmonie ». En découle un sentiment de profusion, un regorgement d’objets et d’images, et donc une multitude de relations. Museum MAN, selon Nankervis, est en « overdrive maximaliste, disparate, en hémorragie, coalescent, et unifiant ».
Mais bien sûr, ce sont là des généralités. Il s’agit de la sensibilité particulière qui fait le choix et crée les relations entre les objets auxquels nous répondons, sans être nécessairement en mesure de dire pourquoi nous sommes attirés par eux. Tout récemment il y eut une sorte de regain d’intérêt parmi les musées quant à leurs débuts tels que les cabinets de curiosités du XVllème siècle, les collections d’objets hétéroclites réunies par des universitaires et des riches amateurs dans leurs maisons. J’ai vu une exposition traitant cette idée récemment au Gemeentemuseum de De Haag, appelé Wonder-kamas, et ce fut un désastre total. Toutes sortes d’objets sortis des réserves et rassemblés - mais sans poésie, sans harmonie ni la moindre armature, rien qui ne soit généré par leurs rapports les uns aux autres.
C’est exactement là où Adam Nankervis excelle. Il met de la poésie dans ses ensembles de récupération.
Non pas que la qualité de « poésie » devrait exclure la peinture. Une de ses incarnations récentes de Museum Man a été SHOULD THE WORLD BREAK IN, - « En cas de rupture du monde » - qui a été présenté à la Galerie Bereznitsky à Kiev en Ukraine. Le mot de « rupture » donne la clé du titre. Qu’il s’agisse de vieilles planches, de dessins, photographies, peintures, des chiffons ou des meubles, le travail a une belle consistance de tons dans son intégralité, le bricolage de matériaux à moitié cassés ou gauchement assemblés ne faisant qu’ajouter à la réponse humaine de l’oeuvre, une réponse qui a n’a fait qu’augmenter quand j’ai appris que la structure était en bois provenant des maisons de réfugiés démolies après la catastrophe de Tchernobyl. Dans le travail de Nankervis, c’est comme si cette dislocation totale de la vie des gens et la destruction de leur santé étaient matériellement témoignées, mais aussi atténuées par une sorte de baume pictural.
Ernst Fraenkel, le philologue du 19ème siècle qui a écrit sur la typographie du poème « Un coup de dés » par Stéphane Mallarmé, observe qu’un coup de dés n’abolit pas le hasard. Les points sur les faces du dés et le point sur la lettre « i »sont comme des « étoiles noires sur un ciel blanc ». Museum Man a invité des artistes, écrivains et poètes à contribuer à un livre qui offre une variété de lectures (ou erreurs de lecture) pour une époque de définitions floues, d’incertitude et, éventuellement, de redécouverte. Le livre se trouve dans un grenier au-dessus d’une grange, dont les poutres apparentes peuvent être vues comme les pages d’un livre ouvert. Au milieu de la pièce a été installé un cadre fait de portes et de planches trouvés sur place. Table et chaise suggèrent l’artifice austère d’un pont ou d’un cockpit en écho à la nudité de l’ouvrage. Ses composants extérieurs (table, chaise, livre) invite le spectateur à entrer et prendre place. Cela crée deux états dans une allégorie : la lecture à partir de la table (dedans / dehors) et l’observation du lecteur (dehors/dedans). Un livre ouvert qui se referme. A.N.
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