Alma Tischler Wood
Being There
Being There (Être-là)
Dans la lumière tamisée d’un grenier de Picardie, « Être-là » (« Being There ») s’ouvre au spectateur tel le premier acte d’une pièce de théâtre. L’installation d’Alma Tischler Wood, un amalgame spirituel de formes, de couleurs et de lumières, occupe un espace au sol impressionnant. À première vue, nous découvrons une constellation de globes gonflables et de bric-à-brac délicatement entourée d’un treillis délabré de fils qui s’étendent en diagonale du sol au plafond. L’œil parcourt les motifs de haut en bas, cherchant la structure. L’œuvre devient une longue table de buffet encombrée de délices imprévisibles. Des petits groupes d’objets minuscules de couleurs tapageuses se fondent en bancs d’entités noires et blanches. Les petites collections sont parsemées de boîtes et de globes plus lourds revêtus de journaux. Des gros titres d’époque renferment des caractères qui révèlent le mouvement directionnel.
Malgré toute sa fantaisie apparente, l’œuvre d’Alma Tischler Wood est suffisamment précise pour permettre aux schémas d’arriver, de se poser et de se développer à chacune de nos observations. Comme certaines formes de Free jazz, son rythme est plus évident que sa mesure. Son caractère familier offre une plus grande perspective, qui transforme les géométries des fils en un grand hymne de sortie particulièrement éloquent dans ce décor extérieur formé des murs du grenier et de poutres en bois. La largeur de l’espace ouvert est étonnamment réduite par les fils. Ponctuée de nœuds sporadiques et de minuscules ornements, cette toile en trois dimensions forme une enceinte tout en demeurant ouverte. Les limites qu’elle définit sont inoffensives et agréables à l’œil, et permettent au spectateur de rester concentré sur la structure sans être distrait par la beauté des fenêtres ou des murs.
Au bout d’un moment, farces, jeux de mots et devinettes émergent de la collection comme d’un brouillard. La simplicité du jeu crée différents cadres de référence qui suggèrent des guillemets imaginaires. Une paire de cailloux est suspendue dans les airs, maintenue immobile par deux ficelles. Des peintures plates et rectangulaires de sphères en deux dimensions reposent contre les sphères éclatantes en trois dimensions ; des bouteilles en plastique sont au coude à coude, chacune révélant un liquide de couleur vive. Il s’agit selon l’artiste de « couleurs aquatiques ». Les détails de textes tirés de paquets de cigarettes et de gros titres de journaux fournissent à l’ensemble un semblant de cohésion de par leur couleur, leur forme ou leurs jeux de mots. Le temps permet la narration entre ces globes étrangement éclatants et quelques objets nus. Ce que l’artiste appelle affectueusement « mondes » offre un contraste avec les boîtes plus lourdes recouvertes de texte. Les « mondes » sont vifs et lumineux, au point d’en devenir quasiment toxiques. La plupart sont gonflables, ornés de pois ou d’une couleur orange vif. Certains des « mondes » sont ironiques, comme ce globe en papier mâché tournant exclusivement autour de la ville de Paris, ou encore ce globe méticuleusement revêtu d’autocollants « Handle With Care » (« Fragile »). Les voies du « naturel » au « vénéneux » créent une relation tendue, si ce n’est un mariage orageux. Par moments, Alma Tischler Wood capte l’esprit dadaïste. Sans invoquer un quelconque mouvement physique, son installation semble répéter les actions de marche, de repos ou d’action dans des frontières qui restent minces. Sa résistance espiègle à une interprétation unique est l’un de ses nombreux plaisirs. Lisez-la entre les lignes, au-dessus des lignes, à travers les lignes et malgré les lignes. Être-là est partout.
traduction Aurélie Glodowiez
Lorsque je suis arrivée de Londres au début du mois de juillet, j’ai d’abord été frappée par l’isolement de Sacy-le-Petit. L’air était doux et léger et le chant des oiseaux apaisant, mais ce décor magnifique avait quelque chose d’écrasant. Sacy-le-Petit m’a fait découvrir un nouveau sentiment de solitude. Le premier jour, à l’occasion d’une balade à vélo dans la campagne panoramique, je me suis perdue pendant des heures. Cette expérience, avec le fait d’être là, au Château, a modifié ma perception du temps et de l’espace. Pour moi, cela représente bien plus que le simple fait d’« Être-là ».
Being there est le titre d’un film américain (Bienvenue, Mister Chance dans sa version française), dans lequel un jardinier (Peter Sellers) reste cloîtré dans le domaine de son employeur jusqu’au décès de ce dernier et décide alors de partir - une fiction qui fait écho à ma propre décision de quitter Londres. Le terme « Being » (« Être ») fait également référence à une étude du philosophe allemand Martin Heidegger. Dans son traité fondamental Être et Temps, il tente d’accéder à l’Être (« Sein » dans la version allemande) par l’étude de l’expérience de l’existence humaine, de par son caractère temporel et historique, l’« Être-là » (« Dasein »). Mon installation, une pièce grande et complexe exposée dans le grenier de la grange, est une représentation de mon expérience personnelle du traité d’Heidegger. Mon support étant visuel, les éléments qui constituent cette pièce « spécifique du site » reflètent ma première expérience sauvage et imprévisible d’« Être-là » au 1 rue Verte.
Mon objectif était de fabriquer un microcosme merveilleux en utilisant des objets trouvés, sur place ou ailleurs, comme de toutes petites lumières, des tableaux, des éléments naturels ainsi que des matériaux que les précédents artistes en résidence ont laissés derrière eux. Tous ces objets sont disposés à proximité les uns des autres et certains sont agrémentés de peinture et de journaux de langue anglaise/française. J’ai également inclus des sphères de différentes tailles et des images représentant l’infini que j’utilise depuis mes débuts et que j’appelle « mondes ». Pour assurer une continuité avec le reste de mon œuvre, j’ai ajouté une pièce d’une exposition qui s’est tenue l’année dernière : un nichoir doré qui a voyagé et orné des arbres à Londres, au Canada et à Berlin.
traduction Aurélie Glodowiez
Travail antérieur