Clare Iles
Collection d’Encombrants
Les cartons s’entassent, remplis de secrets d’alcôves dépassés, périmés. Au sommet, un lapin en peluche, l’œil tombant et la pelure râpée, usé d’avoir été serré, traîné, embrassé.
Des empilements pressés au plus près des palissades. De vieux frigos vidés, des lavabos ébréchés, des canapés crevés. Des WC, évacuateurs de nos intimes déchets, délaissés. Des machines à laver nos traces, à supprimer les impuretés, transformées en restes à liquider.
Clare est arrivée à Sacy-le-Petit le jour du ramassage des « encombrants ».
Rebuts, débris, ordures ; l’espace si propre, si ordonné, si coquet du village est envahi d’un bazar immense.
D’ordinaire, les rues calmes semblent figées. Les maisons ne laissent rien transparaître de leur vie intérieure. Les portails sont fermés. Aucun mouvement ne perturbe le silence. Le temps n’existe pas.
Ce jour-là, les grilles s’ouvrent. Les biens sont déversés dehors. Clare découvre l’intérieur, passé et privé, déposé sur la voie publique. Un sofa côtoie une table basse, univers douillet recréé à ciel ouvert. L’intime s’offre à tous, abandonné et exposé.
Encombrants … mais pourquoi ? Par la taille, le poids ? Pas seulement. Usés, utilisés, imprégnés, la valeur sentimentale des objets est à renégocier avant l’oubli. Comment se débarrasser de ce qui encombre ? Comment évacuer ces choses qui furent le prolongement de nos corps, qui ont une histoire, un sens, un vécu ? Clare s’est infiltrée dans ces processus d’abandon, de séparation. Dons, brocantes, encombrants, poubelle. La manière de quitter n’est pas anodine. Ce geste, qui scelle l’adieu, révèle le degré d’intimité partagé avec l’objet, comme avec l’éventuel repreneur.
Clare Iles s’interroge sur notre société surconso-matrice, et furète au milieu de ses reliquats. Intriguée par l’étrange pratique d’exposer le familier dans la rue, cette artiste de l’Essex s’immisce dans ce rituel. Elle arrange les objets in situ. Elle érige des sculptures éphémères capturées par la photographie. Recyclage intuitif, Clare joue avec les formes et les couleurs pour donner à ces restes une valeur artistique improbable.
Les habitants s’empressent de remettre les objets « dérangés » à leur place. L’ordre est précis. Le fouillis est soigné. Au plus près des murs de la propriété, l’ordonnancement symbolise la transition. Ces rejets appartiennent encore à la maison. La mise en scène révèle leur valeur et celle des habitants. L’étagère nettoyée parle des occupants et d’une seconde vie secrètement espérée. Deuil, soulagement.
Ces rogatons créent l’événement, l’appropriation de l’espace et du temps, les échanges et la fête.
D’étal en étal, de maison en maison, les glaneurs et la glaneuse collectent l’affection et la mémoire. La charrette, image d’une époque lointaine, est le bassin du baptême, de l’adoption. Fouillées, touchées, jugées, les choses reprennent vie. La carriole les porte vers un autre intérieur.
Étrangère, en adoptant les pratiques et les objets, Clare est adoptée. Un homme reconnaît « la remorque à Gaillard », ancien jardinier du château. Il invite Clare à admirer la sienne, fabriquée de ses mains. Les chariots deviennent le lien extérieur entre deux intérieurs, entre deux êtres.
Les débris traversent le village et entrent au château, leur résidence. L’atelier est dans la grange, lieu d’attente, de refroidissement des souvenirs. Clare travaille ses trouvailles. Hors du réel, elle assemble, empile, repeint. Elle sculpte une carriole dans la demeure où, 200 ans auparavant, furent transvasés les objets de l’ancien château.
Collection d’encombrants, réexposée aux yeux de tous.
Encombrants, évacués, réaffectés … tous ces mots parlent des objets mais aussi de leurs effets sur nos âmes. Ce ne sont pas les choses en elles-mêmes, mais ce qu’elles portent de nous que Clare dévoile.
Travail antérieur