Lloyd Durling
Bit part
Bit part
Au cœur de l’œuvre de Durling se niche une dualité entre la forme et la non-forme. Cette dualité ne constitue pas pour autant une vision Manichéenne ; elle est bien trop astucieuse, bien trop ancrée dans le réel pour être réduite à une telle analogie entre la lumière et l’obscurité, entre le bien et le mal. Elle est trop plongée dans la sensualité, dans le corporel pour supporter une telle restriction.
L’apparente économie de structure est le résultat d’un processus cumulatif, selon lequel chaque marque répétée dispose d’une micro-aura individuelle due au chevauchement, à la mise en place, qui est reflétée par l’oeuvre dans son ensemble. Il ne s’agit pourtant pas d’une simple volonté de faire de l’effet : l’attrait ou la transe de la répétition crée un dynamisme qui tient de la décharge d’électricité statique. La simplicité des principaux moyens d’expression de l’artiste - le feutre et l’huile, l’utilisation du papier comme support - nous conduit tout droit à la surface.
Impossible de sous-estimer l’importance de la surface. La ligne laisse place à des zones de contact, de chevauchement et d’omission. L’espace entoure une image. Les zones restées vierges s’écartent de leur rôle de silhouette suggestive et entrent en résonance avec l’absence de forme. Nous sommes alors aspirés dans la participation immédiate ; notre besoin d’information devient la force motrice. Et en fin de compte, c’est bien ce dont il s’agit. D’information.
L’œuvre précédente de l’artiste, qui évoque des environnements complètement démontés, nous renvoie à un certain éclat rétro du monde du cinéma, et au concept de montage qui lui est associé. Difficile à situer sur le plan historique, il semble que la question qui nous est posée est de savoir à quel moment le présent glisse dans le passé, et dans quelle mesure cette perception est influencée par les fictions auxquelles nous sommes exposés. Durling reconnaît s’être inspiré de la cinématographie de Claude Chabrol, et notamment de la collision texturale entre l’expression atavique et les conventions sociales, de la surface calme perturbée par des accès de brutalité inattendus dans des films comme La Femme infidèle, Le Boucher ou Que la bête meure.
Son œuvre récente traite de la nature ouvertement sexuelle/sensuelle des plantes, ainsi que de ce qui peut être perçu comme une cruauté intrinsèque. D’un point de vue stylistique, dans la suggestion du collage et du déchirement, des références discrètes à l’oeuvre de Clyfford Still, une autre influence clé, sont bien présentes. La forme évoque encore l’accumulation et l’omission, en ajoutant cette fois la complexité des formes suggérées. Une oeuvre particulière nous vient à l’esprit. New Lips. D’un point de vue chromatique, elle évoque la froideur ancrée dans la signature de Durling. Mais même si l’on met de côté le titre et ce qu’il nous évoque, la plante (une sarracénie pourpre) se métamorphose en bouche. Toutefois, l’association directe entre la plante et les lèvres pénètre dans un territoire troublant. Il s’agit d’une bouche composée de peau greffée, transplantée. A l’instar de nombreuses œuvres représentant des plantes, celle-ci dégage une énergie repoussante ; la séduction s’effrite pour laisser place à la confrontation à la mortalité - un gros plan qui provoque la défamiliarisation de l’acceptation traditionnelle du Memento Mori. Il doit être souligné que la surface jouit ici d’un relâchement exploratoire par l’application d’eau, d’un détachement du travail associé à un abandon qui fait voyager l’œuvre dans de nouveaux mondes.
Le travail de greffe auquel il est fait allusion dans New Lips nous amène à présenter des explorations au Château de Sacy. Une intervention ambitieuse impliquant l’interaction de l’œuvre d’art et de l’environnement, la greffe de l’image sur son sujet. Une exploration dans laquelle l’oeuvre d’art devient la surface réelle du monde, ainsi que son témoignage.
Traduction : A. Glodowiez
Travail antérieur