Rachel Labastie
Illusions nécessaires
Illusions nécessaires
Dans cette exposition des cerveaux blancs dans un grenier sombre.
Ces cerveaux sont à l’échelle 1 et l’on pourrait les greffer à ces nombreuses têtes de mort qui habitent si souvent les expositions. On perçoit leurs nervures des circonvolutions douces, profondes, palpables dans les creux et les pleins ; la vie dans ses plis, fluctuante, ingérable.
Ces cerveaux sont en paraffine, du latin « parum affinis », qui a peu d’affinité.
La paraffine est utilisée pour la fabrication des bougies et c’est un composant nécessaire à la fabrication d’explosifs. C’est une matière fragile, détonante comme une incursion poétique dans un espace qui pourrait être celui de la conscience le grenier.
C’est ici que se situe la réserve, ces esprits seront remplis d’une ligne de pensée pour des apôtres, un parti, une méthode efficace ; de celle qui nécessitait l’envoi au Goulag lors des grands lessivages, mais pas seulement.
L’écrivain américain Avram Noam Chomsky note dans son livre « Les illusions nécessaires »*, les processus par lesquels les médias et les politiques usent de la propagande pour communiquer et détourner l’attention des véritables enjeux politiques. Le maintien de la confusion, d’une proximité illusoire évite que la démocratie soit effective le vote citoyen est une utopie participative, un jeu initié par l’Etat qui détourne l’attention sur l’essentiel.
Les mots choisis par les décideurs sont pernicieux réseaux sociaux, votes citoyens, prises de conscience … mais comme l’indiquait Ferdinand de Saussure « un mot n’a pas de sens, il n’a que des emplois ».
Pourtant le cerveau est utile, il est excitable. Il produit de la sérotonine, de la dopamine et bien d’autres drogues illicites. On soigne désormais certains traumatismes corporels par l’envoi de fréquences dans les zones du cerveau. Les sensations impulsées ou autres espaces virtuels permettent de ressentir sans subir. C’est une industrie de l’émotion par procuration qui se développe. Déjà avec l’ami Facebook certaines connexions sont ciblées, des murs sont privilégiés, des rencontres se programmeront de là-haut, au grenier, un cerveau global pour une maîtrise totale.
La déviance n’est plus jugée ni punie par le pouvoir, mais par une autocensure puissante. Nous sommes pensés. Il n’y a plus d’ennemi représentable, la norme est intériorisée. C’est la dictature du surmoi qui produit des consommateurs nés.
Michel Foucault nous avait éclairé surveiller (s’auto-) punir. Sécurité – Sociabilité.
Un chant des sirènes est omniprésent et c’est le plus flatteur, le plus transparent, le plus doux pour l’ego devenez vous-mêmes.
Comme tout le monde.
*Necessary Illusions (1989, South-End Press edition).
Travail antérieur