Richard Negre
Déplacement nocturne
Sur les pointes : un pas de deux
Dans le grenier des communs du château de Sacy, Richard Negre a planté dix pointes qu’il a reliées par une cordelette fluorescente. Puis il a fait le noir dans la pièce : n’apparaît alors que le tracé orange des lignes, révélé par la lumière ultraviolette.
« C’est le spectateur qui fait l’œuvre (…) en inventant sa propre vision », déclare Marcel Duchamp. En se déplaçant, le spectateur peut percevoir des espaces construits qui se transforment au gré de son regard. Le caractère architectural est signifié par l’ordonnance des lignes, la symétrie sous-jacente des formes et surtout une échelle à taille humaine rendant cet espace visitable. On discerne la délimitation d’un sol, qui joue, comme en trompe l’œil, avec le plancher réel du grenier. Son périmètre sert d’appui à deux quadrilatères s’élançant obliquement vers l’intérieur de la structure.
L’ensemble suggère l’image d’une tente, fixée par des sardines, dont seuls les mâts seraient visibles. Richard Negre, par cette scénographie, a planté le décor pour sa mise en scène d’une écriture du mouvement. L’artiste se place, alors, derrière le pied de son appareil photographique et prend des milliers de clichés, changeant imperceptiblement d’angle de vue à chaque nouvelle prise. Après le montage des images mises bout à bout, le film construit un véritable dessin chorégraphique en mouvement. Toujours entre deux points d’attache, la ligne se déforme, s’amplifie, s’étire, se détend, se contracte, s’amenuise, redevient point, se forme … Sur son point d’ancrage, elle s’agite, bascule, oscille, chaloupe, se balance, fouette l’espace ou réalise des soubresauts. A travers cette chorégraphie, nous imaginons la danseuse, sur ses pointes, réalisant des entrechats, des arabesques, des sauts vrillés et autres figures du répertoire de la danse.
Le langage de Richard Negre est sobre : pas de scène, pas de danseur ; une abstraction minimaliste, mais qui, comme dans l’art du danseur et chorégraphe, Merce Cunningham, amène une vision organique et sensuelle de la danse, explorant toutes les variations gestuelles d’un corps soumis à toutes les combinaisons possibles. Ce qui est aussi particulier dans le travail de Richard Negre, c’est la relation, le dialogue qu’il instaure entre deux figures, identiques ou semblables, se faisant face dans un jeu de symétrie par des techniques d’axonométrie ou se superposant par des effets de calque. Il utilise aussi ces procédés dans ses séries picturales intitulées « Déplacement » et dans ses deux derniers films « En attendant » et « Géométries organiques ».
A Sacy, ce sont les deux quadrilatères, qu’il a dessinés dans l’espace à l’aide du cordon orange, qui remplissent ce rôle de duo. Ils entrent l’un avec l’autre dans une relation éphémère qui s’inscrit dans l’air par des dessins amples, une fluidité du style où cependant la vitesse laisse parfois place à des moments de respiration.
Richard Negre a vécu toute son enfance dans le milieu de la danse nourrissant son imaginaire chorégraphique. Le ballet qu’il orchestre ici naît des palpitations des formes, de leurs vibrations, de leurs contractions. Dans ce pas de deux, les figures s’approchent l’une de l’autre, se fondent, ne font plus qu’une, s’élancent, se défont dans des scènes de métamorphose, d’osmose ou de symbiose. L’artiste capture les mouvements des deux quadrilatères, tire les fils de leur liaison, les contrôle, les libère, les déforme et les sépare …
Travail antérieur
Je m’intéresse aux rapports entre le plan du tableau, celui du volume et celui du film (animation). Cette recherche s’articule à partir de l’élément originel de la peinture qu’est le point. Très vite je m’aperçois que la simple multiplication de point engendre un nombre phénoménal de combinaisons formelles. Très vite, tout devient complexe. De la tentative d’immobilité de la peinture à l’apparente mobilité du film le volume en devient l’intervalle.
Par cette approche pluri-dimensionnelle, le plan –lieu des possibles– apparaît comme une plate-forme sur laquelle d’innombrables intersections s’accomplissent.
C’est de Borges que je tiens cette approche mathématique de la forme ; ce sont les chorégraphies de Forsythe qui m’ont orienté dans cette conception de la forme-mouvement.
Tout est architecture. Depuis les territoires qui m’entourent, le corps qui me constitue et ma conscience en éveil. Tout est destruction/construction, apparition/disparition, passage incessant d’un état à un autre. Bref, tout est transformation. Il y a cette organicité de la géométrie qui me trotte dans la tête et qui cherche une immobilité, la peinture peut-être ?